Le code vestimentaire du CECCE jugé «discriminatoire» et «sexiste»

Discriminatoire, problématique et sexiste, le code vestimentaire en vigueur dans les établissements du Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE)? C'est à tout le moins ce que laisse entendre la Coalition d'Ottawa contre la violence faite aux femmes (COCVFF), avec l'appui du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) francophone d'Ottawa, dans une lettre acheminée ces derniers jours.

Discriminatoire, problématique et sexiste, le code vestimentaire en vigueur dans les établissements du Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE)? C'est à tout le moins ce que laisse entendre la Coalition d'Ottawa contre la violence faite aux femmes (COCVFF), avec l'appui du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) francophone d'Ottawa, dans une lettre acheminée ces derniers jours et dont Le Droit a obtenu copie.


Dans la missive adressée à l'administration de l'organisation de même qu'à plusieurs directions d'écoles ainsi que les conseillers scolaires, on indique être préoccupé par le fait qu'il a été signalé que les politiques du Conseil et de ses écoles en matière vestimentaire «sont sexistes et ne tiennent pas compte des enjeux croisés de classe et de race» et que l'application de celles-ci «peut donner lieu à des situations humiliantes et blessantes pour les élèves».

«[...] Nous croyons que non seulement le Conseil devrait gérer plus judicieusement les questions qui se rapportent à l’expression du genre et de la sexualité, mais qu’il a aussi le devoir de donner l’exemple en faisant preuve de respect dans ces domaines. [...] Nous avons appris que des élèves avaient été la cible de critiques et de dénigrements publics. Il n’est pas acceptable que le Conseil ou les membres de son personnel enseignant sexualisent les élèves ou commentent leur habillement. Cela dénote un grand manque de respect. Il peut en outre s’avérer très dommageable pour une ou un élève de se voir ainsi pointé du doigt; pire encore, les adultes qui agissent de la sorte enseignent aux autres élèves qu’il est acceptable de régenter les corps — conduite qui équivaut souvent à du harcèlement — et que cela fait partie intégrante de l’apprentissage de la vie», est-il écrit dans la lettre envoyée jeudi au CECCE.

La lettre interpelle aussi le conseil scolaire en affirmant que les impacts de ces situations ne peuvent être sous-estimés et qu'il faut «mettre fin au climat d'hostilité qui règne». 

Faisant référence aux conclusions d'une étude menée dans des écoles aux États-Unis qui aurait par exemple conclu que les codes vestimentaires avaient des répercussions disproportionnées sur les filles noires, l'organisme prétend entre autres que de telles règlements «enseignent aux filles que leur apparence compte plus que leurs idées» et «peuvent servir à cibler et punir des élèves qui sont déjà en situation de marginalité, notamment les filles et les garçons pauvres ou racisés ainsi que les jeunes trans et non-binaires». 

Citant l'exemple du code de vie de l'École secondaire catholique Béatrice-Desloges, qui mentionne notamment qu'on doit se présenter à l'école «dans une tenue vestimentaire propre, modeste et convenable au milieu scolaire sur laquelle il n’y a pas de mots ou de dessins vulgaires, offensants ou évoquant la violence ou la haine, sans accessoire symbolique de violence, de préjugés ou de regroupements marginaux» et que «les chandails, t-shirts, chemises ou blouses (doivent être) assez longs pour rejoindre la hauteur de la taille du pantalon ou de (la) jupe, doivent couvrir (les) épaules la largeur de trois doigts», la missive acheminée au CECCE remet en question le choix des mots.

«Le code de vie ne parle pas explicitement du genre ou du sexe. Cependant, les termes 'modeste' et 'décents' ont souvent servi par le passé à établir des exigences sexistes ciblant les femmes ou les filles. De plus, l’utilisation d’un adjectif aussi vague que 'propre' pour qualifier la tenue vestimentaire peut contribuer à renforcer le classisme. Nous aimerions beaucoup participer à un examen du processus d’établissement de vos codes vestimentaires», est-il écrit.

On plaide pour une plus grande participation des jeunes dans l'élaboration de telles politiques, de même qu'une large consultation d'organisations incluant par exemple, en plus de la COCVFF et du CALACS, le Planning des naissances d'Ottawa et l'Ottawa Rape Crisis Centre, pour la promotion d'écoles inclusives et la prévention de violences à caractère sexuel. On ajoute que les enseignants devraient pouvoir se concentrer sur leur principale tâche sans avoir la responsabilité «additionnelle et souvent inconfortable» de devoir appliquer un code vestimentaire. 

Les codes vestimentaires «enseignent aux filles que leur apparence compte plus que leurs idées», est-il inscrit dans la lettre.

«Ne pas voir un petit filet de peau» 

Pour Mireille Brownhill, qui milite depuis longtemps contre les politiques vestimentaires et est elle-même mère de trois enfants dont un qui fréquente toujours une école secondaire d'Ottawa, il y a un sérieux examen de conscience à faire et il est temps de réviser ces codes «pour s'assurer qu'ils soient respectueux envers tous les élèves». 

«Ça me tient à coeur. Étant une femme, j'ai subi les codes vestimentaires toute ma vie, je peux témoigner comme d'autres que ça affecte différemment les garçons et les filles. On passe le message aux filles que leur apparence est plus importante que l'éducation, que les garçons sont incapables de se contrôler par rapport à leurs pulsions sexuelles et que c'est de notre faute si on les distrait. Vingt ans plus tard, il y a tellement d'études qui démontrent que ces codes sont discriminatoires pour plusieurs groupes, pas seulement les filles. C'est dommage qu'on en soit encore là aujourd'hui», note-t-elle. 

Se disant entièrement d'accord avec les aspects qui interdisent les messages haineux ou violents, Mme Brownhill affirme que pour le reste, l'application d'un code vestimentaire est à géométrie variable et est sujet à passablement d'interprétation. 

«Quand on pense à la largeur des bretelles, en quoi est-ce que de voir l'épaule d'un élève est problématique? À l'école élémentaire, il y a des filles qui ne portent pas leurs belles robes d'été car les bretelles sont trop étroites. Qu'on pense qu'une cocotte de six ans expose trop de son épaule, on s'entend que c'est n'importe quoi. Il y a aussi toute la question de la longueur d'une jupe ou d'une paire de shorts. Il y a une variété de corps, de tailles, de longueur de bras, de jambes. C'est tellement malaisant d'être regardé de haut en bas du corps pour évaluer si l'habillement est approprié. C'est un mot subjectif, surtout quand c'est un homme. [...] Que veut dire convenable, décent ou encore modeste? C'est tellement subjectif, libre à interprétation selon la personne qui analyse. Il est difficile de naviguer là-dedans pour un élève», déplore-t-elle.

Invitée à donner un autre exemple, cette dernière renchérit en disant trouver ridicule qu'à certains endroits les jeans troués, «sur lesquels on voit un petit filet de peau», ne sont pas acceptés alors que c'est la mode et que même en tant qu'adulte, il peut être ardu de se trouver autre chose que ce style en boutique. 

«En tant qu'adulte, aime-t-on se faire dire comment s'habiller? Nous non plus. Nous sommes tous différents, nous sommes à l'aise dans certains types de vêtements, d'autres non. Ça nous appartient. Il faut laisser cette liberté-là aux élèves aussi, ils doivent pouvoir faire leurs propres choix, développer leur pensée critique. Ça peut attirer les regards, oui, mais ça, ça leur appartient. Il faudrait sincèrement évaluer la raison d'être d'un tel cadre. Quelle est la vraie raison d'empêcher des élèves de porter certains vêtements? Est-ce vraiment pour leur bien-être?», s'interroge Mme Brownhill.

Le Conseil des écoles publiques de l'Est de l'Ontario (CEPEO) sera éventuellement aussi interpellé sur ce dossier, dit-on.

Réaction du CECCE

Affirmant que ses politiques sont rédigées et mises en place «de manière impartiale» et que celles-ci «sont dynamiques et mises à jour régulièrement afin qu’elles puissent prendre en considération et refléter des réalités changeantes», le CECCE répond d'emblée qu'il a donné suite à cette lettre.

«(Le CECCE) poursuivra le dialogue avec cet organisme afin de considérer les préoccupations reliées au code vestimentaire en vigueur afin de s'assurer d'offrir un milieu d’apprentissage positif, sain et sécuritaire pour tous les élèves», écrit Valérie Samson, directrice exécutive du Service des communications, du marketing et de l'engagement communautaire. 

L'organisation ajoute que le CALACS francophone d'Ottawa offre déjà des ateliers de prévention et de sensibilisation aux élèves des écoles secondaires et précise par ailleurs avoir mis à jour sa politique contre le harcèlement et le racisme en juin dernier.

Le CECCE affirme que ses politiques sont rédigées et mises en place «de manière impartiale» et que celles-ci «sont dynamiques et mises à jour régulièrement afin qu’elles puissent prendre en considération et refléter des réalités changeantes».

Le plus grand conseil scolaire de langue française hors Québec indique que dans le respect d'un cadre préétabli, la direction de chaque établissement est responsable d'élaborer son code de tenue vestimentaire, en collaboration avec les élèves, le personnel et le conseil d'école. Celui-ci peut par la suite être révisé s'il y a des préoccupations.

«La démarche du CECCE s’inscrit de plus dans une logique d’apprentissage continu et d’ouverture d’esprit. Le Conseil trouve également important d’aborder les questions sensibles, notamment en ce qui a trait aux questions de races, de genres, d’orientation, d’agressions ou de micro-agressions, de privilèges, de biais, de discrimination, etc. Des trousses sont d’ailleurs régulièrement développées et transmises au personnel scolaire afin de favoriser l’adaptation à un environnement socioculturel changeant», conclut-on.